Quel est ton parcours professionnel ?
Lorsque j’étais le directeur du Palace en 1987, j’ai rencontré de nombreux artistes dont César, Aslan ou encore Kiki Picasso, les Musulmans Fumants (collectif emblématique de l’art urbain) qui réalisaient leurs oeuvres en live sur la scène lors de soirées. Devant chaque mois renouveler le décor à thème, et de manière plus globale chaque année, j’ai travaillé en collaboration avec des artistes de lumière, des sculpteurs, peintres, designers, et une équipe de techniciens d’effets spéciaux, éclairagistes, menuisiers …
Aujourd’hui, attaché de presse, j’ai la charge
du suivi de carrière de personnalités de renom et
artistes qui sont encore inconnus du public en organisant des événements autour
de leur travail.
Je suis aussi auteur de livres, dont “Stromae”, “M Pokora”, “Dalida”, “Le
disco”, etc…
Avant d’arriver au Prix du Graffiti, quel a été ton cheminement, ta première approche du graffiti à ton association Graff’Art ?
Vers l’année 1983, je découvre le graffiti sur une fresque dans la rue. Avec toutes ces couleurs, ça a été une révélation. Le Street Art plus vivant que jamais se renouvelait à cette époque et investissait les lieux underground parisiens; dont le mur de la Cité Bergère, tout comme les palissades du Louvre pendant la construction de la pyramide…
Dés les années 90 le développement a été fantastique. Les artistes se regroupaient en pépinière et réalisaient leurs fresques dans les friches parisiennes ; des endroits insolites tels l’hôpital Ephémère proche de la place de Clichy, les Frigos dans le 13eme où nous retrouvions entre autres Blek le rat, Jef Aérosol, Jonone, Mesnager, Miss-tic, Paella, Speedy Graphito …
Ils font
tous partie de ceux qui comptent aujourd’hui sur la scène internationale.
Des amis graffeurs toujours dans des friches, à l’abri
des regards, réalisaient des choses sublimes ! Ce sont eux qui m’ont fait prendre conscience qu’il fallait donner plus
de visibilité à ces talents auprès du public et des médias. L’idée de créer l’association Graff’Art s’est
alors imposé ; tout comme celle d’investir les Puces de Saint Ouen en y
réalisant des événements, des expositions, d’abord au 27 rue Paul Bert dans la
Galerie éponyme que j’ai créée cette année-là.
Actuellement, grâce à ton association, les gens qui se promènent aux puces de Saint-Ouen peuvent voir de nombreux graffitis. Comment as-tu mis en place cet espace d’exposition ?
Graff’Art a été une vraie aventure. J’ai
commencé d’abord par monter la galerie pour y exposer des graffeurs.
Pierre Cornette de Saint-Cyr, que je connais depuis longtemps par
l’intermédiaire de César, a affiné
mon jugement. Il m’a instruit des différents mouvements de l’art urbain que
j’avais découvert de manière empirique et parcellaire; il m’a ainsi aidé à me
lancer dans le graffiti.
Pendant un an et demi, chaque mois, je lançais un happening et une exposition.
Même si l’inauguration de la Galerie Graff’Art a été une réussite, cela a été
mal perçu aux puces. Un mois après le
bail, une pétition était lancée pour tenter d’arrêter mon activité !
Je suis allé voir les premiers commerçants pétitionnaires pour leur proposer un deal : valoriser leurs boutiques avec une œuvre sur chacun de leurs rideaux de fer. Comme ils ne voulaient pas, j’ai produit moi-même les premiers graffitis pour lancer la mouvance, sur les murs, et faire venir le public et les collectionneurs. La présence renouvelée de mes amis du show bizz, et la presse faisant son office, les commerçants devenaient demandeurs.
Il fallut alors les convaincre de régler les moyens techniques
et respecter le travail des graffeurs !
Notre objet n’était pas de faire des bénéfices, mais bien d’être les médiateurs
et intermédiaires artistiques et techniques entre les commanditaires et les
artistes; pour in fine proposer au public une exposition globale immersive et
référente de l’art urbain au sein des puces.
La réussite est là, l’exposition GRAFF’ART a son sens. Le street art a
investi les quartiers icôniques des
Puces de St Ouen; ce parcours est aujourd’hui un site incontournable de l’art
urbain francilien.
Et du côté des graffeurs, est-ce que l’initiative a été bien reçue ?
Tout au début, certains graffeurs ont joué le jeu de Graff’Art. Leurs oeuvres ont fait comprendre à d’autres l’intérêt du projet dans l’un des plus prestigieux marchés d’art au monde. D’autres pensaient que ça ne servait à rien, parfois cela valait le coup de les convaincre. Après il fallut s’adapter à la nouvelle amplitude de Graff’Art, à l’évolution de l’espace d’exposition qui devait être construite comme une scénographie, aux égos de certains artistes et à la concurrence entre les graffeurs. Il a fallu gérer ces paramètres psychologiques, tout en étant les producteurs. Si le démarrage de cet événement pérenne a été un parcours initiatique pour moi, de quarante rideaux de fer, puis soixante, quatre-vingts, nous en sommes aujourd’hui, à cent vingt sans oublier les murs et les événements hors les murs !
Nous étendons la promotion de ces street
artistes par la mise en place d’ateliers graffitis où ils oeuvrent in
situ, comme à la Cité du Cinéma, chez
Habitat Vintage et Urbin Passe, et au stade de France…
Le portrait de Stromae qui a été repris
sur la couverture du livre éponyme des éditions Carpentier a été réalisé
par Mister Batsh, graffeur, sur l’un de
ces rideaux de métal roulant.
Avec Graff’Art, est-ce qu’on peut dire que tu as donné des lettres de noblesse aux graffitis ?
Merci ! Mais c’est quand même un peu beaucoup !
Pierre Cornette de Saint-Cyr, Alain Dominique Perrin à la fondation Cartier ou Alain Dominique Gallizia dont l’exposition m’a marquée en 2009 au Grand Palais. Ce sont eux les précurseurs français du Graffiti et qui en signent les lettres de noblesse.
Mais je suis gagné par leur passion, et, à mon tour, j’ai envie de la partager.
Il y a de plus en plus d’artistes qui s’intéressent au graffiti et à ce style de création. Comment conçois-tu son évolution ?
C’est un art accessible à tous, autodidactes ou issus des écoles d’art; et à tout âge ! Regardez Jacques Villeglé,
l’un des précurseurs, des années 60 avec Ernest Pignon Ernest, qui
participe toujours activement au M.U.R. de la rue d’Oberkampf avec Faucheur,
Tank, et autres…
Le pochoir, la bombe aérosol, le collage, la peinture permet à chacun de
développer sa technique, exprimer ses valeurs et ses idées, trouver son propre
style. Le langage est très vaste, il s’exprime par le graff, le tagg, la fresque, le graphisme, la
BD, les nouvelles perspectives 3D et les
techniques mixtes, la sculpture notamment… Ils poétisent la ville. Ils
transmettent un message provocateur sur leur environnement avec humour et
puissance, d’autres illustrent avec une passion de la composition et de
l’esthétique leur vision de la société ou encore un monde rêvé.
Beaucoup peuvent y trouver leur voie.
Le
graffiti et le street art ont fait leur entrée au Musée Boymans aux Pays-Bas en
1983, puis au Musée Groninger avec une exposition 100% graffitis avec les
pionniers new-yorkais du style oldschool ; alors qu’à New York les
autorités mènent la vie dure à ce courant d’art. Du côté de la France, le
graffiti a totalement trouvé sa place dans les musées, dès 1992 au Musée du
Trocadéro où les graffeurs français étaient mis à l’honneur à côté des
européens et américains…
Qui sait si les artistes qui participent à ce prix y auront leur place un
jour ?
Dans tous les cas, une nouvelle génération de jeunes artistes talentueux est en pleine ébullition. Pour la première édition, du Prix du Graffiti, nous avons reçu 120 candidatures !
Justement : 120 candidatures pour le premier Prix du Graffiti, c’est beaucoup non ?
Tout a été souple grâce à une équipe soudée.
Le thème choisi, “L’énergie dans la ville” est social, philosophique ; et non pas un sujet sur les éoliennes et les panneaux solaires… Ensuite, l’équipe de Graff’Art, Charlotte Regnault, Hadrien Moreno, et, pour EDF, Claire Buisson et Aurélie Bord ont présélectionné 35 artistes. Les trois lauréats, eux, seront choisis par le jury d’honneur.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour toi dans l’organisation d’un tel prix ?
Trois ans pour trouver le partenaire sérieux, EDF Collectivité qui s’est réellement investie pour la réussite de cet événement.
Des projets ?
Organiser un deuxième Prix du Graffiti pour 2015. J’ai des propositions concrètes à faire pour investir avec le street art des sites inédits et tristes où le public se rend par nécessité… Cela ferait travailler les artistes, et adoucirait les moeurs !
La SNCF et la RATP donnent des espaces et ateliers à certains graffeurs, bien que d’autres soient poursuivis, dont Le Chat cette année. L’oeuvre était pourtant sur un mur en attente de réfection.
Mais c’est peut-être cela l’avenir : donner des espaces aux artistes dans des lieux qui drainent le tout public.